vendredi 19 avril 2024

Les Mille vies d'Ismaël



 C'est un peu étrange de penser qu'on est au bout de sa vie alors même qu'on ne l'a pas encore commencée. C'est pourtant le sentiment qu'éprouve Ismaël, 15 ans, quand il se fait exclure temporairement de son collège, dans l'attente d'un conseil de discipline qui pourrait bien décider de l'en éjecter définitivement, juste avant le Brevet.

Sa mère, qui n'en peut plus de lui, l'expédie chez un oncle qui habite Lyon et qui, surprise, lui obtient un stage en cuisine dans un p'tit bouchon, comme on nomme là-bas les restaurants qui perpétuent les traditions des « Mères » de la cuisine lyonnaise.

Le Baron perché est dirigé par un Chef, Francis, qui tient sa petite équipe d'une main de fer : Ismaël n'était pas préparé à intégrer un véritable commando mais il en découvre rapidement l'effervescence et contre toute attente, ça lui plaît. Ce qui lui plaît aussi et surtout c'est Céleste, la fille aux yeux verts dont il tombe amoureux le premier jour, même s'il ne le sait pas encore, même s'il est à mille lieux de croire qu'il pourrait intéresser une fille comme elle, lui le métis en surpoids et en dreadlocks, toujours planté devant son ennemi n° 1 : le Frigo.

C'est qu'Ismaël porte un lourd secret, vieux de cinq ans, qui a mis son père en prison et sa vie en pause. Il n'arrive plus à avancer, ne fait que des conneries. La cuisine du Baron perché va le remettre en route.

On travaille beaucoup dans la restauration, avec une intensité qui culmine au moment du coup de feu et qu'on n'imagine pas, quand on est un client assis dans l'ambiance feutrée de la salle.

L'autrice des Mille vies d'Ismaël, Raphaëlle Calande, nous fait pénétrer au cœur de ce travail d'équipe, une chaîne dont tous les maillons sont solidaires, dans la réussite comme dans l'adversité : Nicolas, Djibril, Katal et Céleste, en cuisine, Malika et Quentin au service et Francis, le chef d'orchestre. Avec eux, grâce à eux, Ismaël va s'ouvrir mille vies. 

Logé chez son oncle et sa tante, Ismaël côtoie aussi leurs enfants, ses cousins et cousines, Juliette, Andréa et Lukas l'autiste, qu'il va apprendre à mieux connaître.

L'autrice nous fait aussi pénétrer dans le monde nocturne des graffeurs qui hantent les toits de Lyon, les squats, pour y laisser l'empreinte de leur passage et leur « blaze », cette signature colorée et inimitable inscrite, sur des surfaces a priori inaccessibles au commun des mortels. C'est un monde parfois dangereux, où des groupes racistes d'extrême-droite tentent de faire régner leur loi à coups de battes et de couteaux...

Si un roman mérite d'être qualifié d'apprentissage, c'est bien celui-là. La remise en route et l'éclosion d'Ismaël en sont l'épicentre, mais, autour de lui, Raphaëlle Calande brosse le portrait attachant de toute une jeunesse qui cherche sa voix et sa voie, sous le regard  d'adultes toujours prêts à leur refaire confiance, malgré les erreurs et les bêtises. Peut-être parce que ces adultes n'ont pas complètement oublié les leurs et qu'ils sont encore capables, eux aussi, d'en faire...

Pour écouter cette chronique (extrait lu à  03:04) :


Les Mille vies d'Ismaël et quelques saveurs en plusRaphaëlle Calande – X' Sarbacane (349 pages,  17,50 €)


vendredi 12 avril 2024

Le Soleil, la Lune et toi.

 


Si vous pensez que la Terre est plate et si votre femme croit que le Soleil tourne autour d'elle (la Terre), et surtout si vous avez des enfants, je ne peux que vous conseiller la lecture (urgente) de ces deux livres qui pourront vous faire découvrir quelques rudiments d'astronomie.

Evidemment, l'album consacré au Soleil est nettement plus lumineux et aurait tendance à éclipser (ah, ah !) son jumeau, qui parle de la Lune. Mais les deux ont été écrits par Cléa Dieudonné qui fait toute la lumière sur ces deux astres qui nous sont aussi familiers qu'inconnus.

Par exemple, saviez-vous... Non, je ne vais pas commencer à vous poser des questions qui pourraient vous mettre en difficulté et auxquelles moi-même je n'aurais pas su répondre avant d'avoir lu et relu ces deux beaux albums cartonnés qui ne redoutent pas les petites mains hésitantes.

Vous apprendrez quand même que le Soleil n'est pas né dans un chou, que les huit planètes qui tournent autour de lui sont distribuées autour d'une ceinture d'astéroïde. En deçà, il fait un peu chaud, au-delà il fait très froid. La Terre est du côté chaud mais son atmosphère nous a évité jusqu'ici de griller.

Avec la Lune, notre plus beau satellite - les autres sont artificiels, c'est toute la ferraille que nous envoyons en orbite depuis soixante ans et quelque - vous découvrirez ce qu'est la force d'attraction, pourquoi elle change de forme, du premier au dernier quartier, toussa toussa.

En bref Cléa Dieudonné m'a fait faire d'utiles révisions d'astronomie et je vais pouvoir continuer à chanter "Le Soleil a rendez-vous avec la Lune ♫"

Pour écouter cette chronique :



Le Soleil et toi - La Lune et toi - Cléa Dieudonné - albums cartonnés à partir de 5 ans, accompagné - L'Agrume - 2024 (64 pages, 14 €)


vendredi 5 avril 2024

Wendigo

 


Une autrice peut en cacher une autre. Dans sa première vie, Emmanuelle Bayamack-Tam est professeur de lettres dans un lycée de banlieue. Elle a publié sous ce nom de plume plusieurs romans chez P.O.L. Sous le pseudonyme de Rebecca Lighieri, elle a écrit aussi Éden, roman pour la jeunesse publié en 2019 par l'école des loisirs et elle a récidivé en 2023 avec Wendigo, chez le même éditeur.
« Wendigo », c'est le nom secret que s'est donné Ivo, le frère de Selma. C'est aussi celui d'une créature fantastique, mi-humaine mi-animale issue de la mythologie des Algonquins du Canada. Quand l'histoire commence, Selma ne le sait pas encore et vit une vie de collégienne apparemment sans histoire, dans une bonne petite famille de la classe moyenne supérieure, avec deux parents professeurs en faculté. Selma a 14 ans et Ivo un an de plus. Et c'est Selma qui raconte son histoire. Et plus précisément l'histoire d'Ivo  à laquelle elle va être irrésistiblement mêlée.
Car Ivo, à quinze ans, est un garçon étrange, pas très causant, mais plutôt populaire et respecté au collège. Et comme il est beau gosse, il plaît aux filles, qui ne semblent pas l'intéresser plus que ça. Rapidement, Selma s'aperçoit que son frère mène une vie cachée, à l'insu de ses parents, qui sont trop occupés pour s'en apercevoir. Mais Selma sait par exemple qu'Ivo passe une bonne partie de ses nuits dehors, s'échappant discrètement de la maison par les branches d'un arbre qui caressent la fenêtre de sa chambre. Ivo est un garçon très physique, qui n'a pas froid aux yeux. Mais où va Ivo la nuit, que fait-il ? Mystère. 
Selma a une bonne copine, Rose, et un chat, Griffon. Pour l'heure, ça lui suffit. Mais un beau jour, une certaine Alice la contacte. Elle s'intéresse à son frère et lui suggère de s'entremettre auprès de lui. Ivo et Alice commencent une liaison. La famille d'Alice chasse, et Ivo demande à ses parents l'autorisation d'aller chasser avec elle le sanglier en Corse. Refus interloqué des parents. Qui sont intrigués aussi par le goût croissant de leur fils pour la viande, eux qui sont plutôt végétariens...
Par petites touches, Rebecca Lighieri  déplace lentement le récit de Selma vers un arrière-monde fantastique jusqu'ici invisible. Et puis un jour, Ivo révèle à Selma qu'il est en fait un thérian, capable de se transformer en animal. Et qu'il appartient à un groupe de thérians comme lui qui cherchent à comprendre les raisons de leurs nouveaux pouvoirs dus à des mutations qui semblent devoir frapper progressivement l'espèce humaine. D'où ses sorties nocturnes. 
La trame du monde est perturbée. Est-ce une réaction de Gaïa,  la terre-mère, face aux prédations que les humains exercent sur la nature et les ressources de la Terre ? Des forces contraires travaillent dans l'ombre et pourraient bien s'affronter au grand jour. Rebecca Lighieri nous entraîne irrésistiblement vers un combat qui va s'avérer dantesque, et dont Selma va être la spectatrice impuissante.

Pour écouter cette chronique (extrait lu à  02:54) :



Wendigo Rebecca Lighieri – Medium + de l'école des loisirs - 2023 (221 pages, 15 €)

vendredi 29 mars 2024

Un zoo à soi

 


Vous connaissez peut-être Thomas Lavachery, l'écrivain belge dont l'école des loisirs a publié les aventures en huit tomes de Bjorn le Morphir, une série d'héroïque fantaisie. J'ai découvert et lu d'une traite un livre très personnel, autobiographique, où il relate comment il a passé son enfance au milieu d'une véritable ménagerie. La faute, ou plutôt la grâce à son père, élevé chez Decroly, le Célestin Freinet belge, et passé par le scoutisme, deux écoles de liberté et de plein air qui lui ont donné le goût de l'observation des animaux et de la nature. 

Thomas Lavachery rapporte d'ailleurs une anecdote qui en dit long sur cette éducation paternelle. Un jour, la famille est à table et un moineau se pose sur la rampe de l'escalier qui mène au jardin. Le père s'exclame, avec toute la précision ornithologique qui était la sienne : « Tiens, un accenteur mouchet », là où toute la famille n'avait vu qu'un vulgaire piaf. 

Les compagnons à poil et à plumes n'ont pas manqué à Thomas. Cela ne l'a pas mithrisatisé toutefois et il se désole d'être devenu sur le tard allergique même à son chat préféré, un chartreux nommé Panku, dont il ne se séparerait pourtant pour rien au monde. 

Le petit livre de Thomas Lavachery dévide le bestiaire d'une vie, la place qu'y ont pris des animaux de toutes sortes, parfois improbables dans une maison, comme un écureuil ou une chèvre, sans oublier les vivariums, toutes bestioles adoptées au fil du temps par ses parents, « dans la plus merveilleuse insouciance », se souvient-il.

Quand une petite sœur, elle aussi adoptée, est arrivée au foyer, venant de Corée, son regard émerveillé sur le zoo familial a semblé l'agrandir encore. Mee-Kyong s'est attachée très vite à tous les animaux de la maison Lavachery, au point d'entrer comme apprentie dans une animalerie, dès l'âge de 15 ans.

Thomas Lavachery, dont on sait par ailleurs les talents de bédéiste, a illustré chacun de ses chapitres d'une image taillée à la pointe du crayon, portraits précis des animaux qu'il a côtoyés, parmi lesquels il a glissé celui de son père et de sa petite sœur, auxquels son livre rend un hommage aussi attendri que vibrant. En rappelant tous les animaux de sa vie par leur nom, c'est aussi toute sa famille qu'il convoque avec eux, recomposant l'arche de Noé dans laquelle il a grandi.

Pour écouter cette chronique (extrait lu à 02:22) :

Un Zoo à soiThomas Lavachery – Medium de l'école des loisirs (123 pages, 7,80€)

vendredi 22 mars 2024

Les étincelles invisibles

 


Nous sommes à Juniper, un petit village écossais proche d’Edimbourg. Adeline, dite Addie, a 11 ans et deux sœurs jumelles plus grandes, Nina et Keedie. Keedie vient d’entrer à la fac et Nina, pour l’heure, est YouTubeuse beauté. Addie est autiste et grâce à elle, nous allons découvrir de l’intérieur ce que vit une autiste, quel est son rapport au monde et aux autres et comment se manifeste sa différence.

En cours avec Mlle Murphy, Addie apprend un jour qu’au Moyen âge, les habitants de Juniper ont accusé des femmes de sorcellerie, les ont torturées et les ont soumises à une épreuve qui les conduisait soit à la noyade soit à la pendaison, ne leur laissant dans tous les cas aucune chance.

Cette histoire bouleverse Addie. Elle devient obnubilée par le sort de ces femmes qui ont été oubliées. Est-ce parce que leur marginalité lui rappelle la sienne ? Elle décide de soumettre au conseil du village une proposition : ériger un mémorial en l’honneur de la cinquantaine d’entre elles qui ont péri d’une manière aussi atroce, par la faute des villageois de l’époque et des autorités ecclésiales.

Si elle rencontre d’abord le scepticisme du conseil et surtout l’opposition de son président, qui ne voit pas l’intérêt pour son village de remuer cette vieille histoire, Addie ne va pas lâcher l’affaire, soutenue par sa famille et par Audrey, une nouvelle, une Anglaise qui arrive dans sa classe, en provenance de Londres et qui va devenir peu à peu son amie. Sa première amie.

Dans sa famille, Addie peut compter sur une alliée, qui la comprend pour ainsi dire de l’intérieur : Keedie est autiste elle aussi et pour cette raison se sent plus proche de sa petite sœur que de sa jumelle, Nina. Et surtout, ce qui aura une importance pour la suite du récit d’Elle McNicoll, Keedie a eu la même institutrice qu’Addie, la redoutable Mlle Murphy…

Le livre s’appelle Les étincelles invisibles. C’est par cette appellation poétique que l’autrice, elle-même autiste, décrit les sensations qu’elle éprouve quand les situations qu’elle doit affronter provoquent une surstimulation de toute sa personne, conduisant à des réactions excessives souvent incompréhensibles pour son entourage, incapable d’en repérer les causes. Les autistes ressemblent à des écorchés vifs, hypersensibles aux sons, aux bruits, au toucher. Les contacts corporels, les manifestations d’affection que nous, les « neurotypiques », trouvons naturelles, déclenchent en eux des réactions imprévisibles. D’une façon générale, les autistes sont « trop » et c’est ce « trop » qu’Elle McNicoll nous fait découvrir au fil de son roman en suivant parallèlement deux trames : les démêlées d’Addie, proches du harcèlement, avec son enseignante et certaines élèves qui ne la supportent pas ; son combat pour obtenir de son village qu’il érige ce mémorial dédié aux sorcières de Juniper.

Le livre d’Elle McNicoll est plus qu’une simple leçon d’empathie et de tolérance vis-à-vis des autistes. En nous faisant vivre de l’intérieur la vie de l’une d’entre elles, il nous fait prendre conscience de tout ce que nous avons peut-être bridé nous aussi de notre sensibilité pour paraître « normaux », nous intégrer à la société et la supporter, jusqu’à parfois renoncer à être nous-mêmes. Addie a une expression pour ça : « faire le caméléon ». Autrement dit, pour nous, les neurotypiques, se résigner au conformisme.

Pour écouter cette chronique (extrait lu à 03:13) :


Les étincelles invisiblesElle McNicoll – traduit de l’anglais par Dominique Kugler - Medium de l’école des loisirs (207 pages, 13,50 €)


vendredi 15 mars 2024

Le cri du corps

 


C’est un récit impressionnant que nous livre Alexandre Chardin dans Le cri du corps. Un récit de fureur, de souffrance et de rédemption, mené tambour battant par un « je », prénommé Adam comme le premier homme.

Tout commence par une énième bagarre, aussi absurde que nécessaire, comme il s’en livre périodiquement entre gamins de cités rivales, à coups de battes, de barres de fer, de boules de pétanque et de couteaux de plus en plus longs. Cette fois-là, c’est Adam, l’un des plus jeunes, qui reste cloué au sol. Quand les policiers arrivent, toute sa bande s’est enfuie et quelque chose en lui décide de ne pas répondre, de ne pas ouvrir les yeux, de rester le nez collé dans l’herbe du terrain de foot où il est tombé, à faire le mort, pour de faux bien sûr, pour le plaisir « d’emmerder les keufs », d’entendre la sirène des pompiers, de se laisser porter comme un paquet inerte de civière d’ambulance en lit d’hôpital, roulant à toute vitesse dans les rues et dans ces couloirs blancs qui sentent le lino et le désinfectant. Comme sur des roulettes !

À 14 ans, Adam aime en vrac les roues arrière, le foot, les potes, Fifa, et puis, l’intruse dans cette liste, la fille Lison, une fille de l’autre côté, de l’autre collège des beaux quartiers, pas celui des cailleras où Adam brille sans peine tant la concurrence au tableau noir est faible. Pour l’heure, Lison n’est pour Adam qu’un prénom saisi au vol, un regard aussi qui lui a flanqué un drôle de frisson, et quelques histoires qu’il commence à se raconter autour de deux ou trois choses qu’il ne sait pas d’elle.

Seulement voilà, à l’hôpital, è finita la commedia ! Adam a poussé un grand cri, le cri du corps qui l’a lâché, ce corps nouveau qu’il va devoir apprivoiser, affrontant la pitié dangereuse qu’il inspire. Heureusement, il y a Anouk, l’infirmière que les ruades mentales d’Adam ne rebutent pas. Heureusement, il y a Mouss, le seul de la bande qui n’a pas lâché Adam mais qui prend cher pour tous les autres. Heureusement, il y a surtout Nora, la grande sœur qui prend le relais d’un mère défaite, Nora qui cherche et trouve des solutions pour aménager la vie d’après.

Obligé de changer de collège pour une bête mais vitale question d’ascenseur, voilà Adam qui se retrouve chez les bourges ! Mais chez les bourges, il y a Lison justement. Comment va-t-elle réagir face à cet Adam nouveau, qui a perdu cinquante bons centimètres dans l’affaire et que tout le monde regarde de haut ou de biais, un peu beaucoup gêné ? Tout le monde ? Sauf Lison, qui, elle, regarde Adam dans les yeux. Et ça, c’est peut-être un morceau de chance dans le malheur d’Adam.

Alexandre Chardin a écrit un livre coup de poing et coup de cœur qui nous fait traverser un drame à toute allure et nous redit à sa façon cette phrase à la con que détesterait sûrement Adam : « tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir ».

Pour écouter cette chronique (extrait lu à 02:52) :


Le cri du corpsAlexandre Chardin – X’ de Sarbacane (124 pages, 13,50 €)


vendredi 8 mars 2024

L'Espionne renaît

 Comme cela va faire bientôt 6 ans que je ne vous ai pas donné de nouvelles de mon héroïne préférée, l’Espionne, créée par l’autrice Marie-Aude Murail et que ce vendredi tombe un 8 mars, journée internationale des droits des femmes, au rang desquelles je compte la mienne, si du moins je peux employer en ce jour un tel possessif, je vais vous parler de la renaissance de Romarine.

Depuis quelques mois, celle-ci est en effet tombée entre les mains d’une autre femme, en l’occurrence la dénommée Églantine Ceulemans, dessinatrice de grand talent. Bayard jeunesse lui a confié la réédition de toutes les histoires qui avaient été illustrées depuis 2001 par le non moins talentueux Frédéric Joos, soit une vingtaine, toutes parues au départ dans le mensuel J’aime Lire.

Cela donne des petits livres pétillants de malice, à raison de trois récits par volume : quatre sont publiés à ce jour, la saison 4 est parue le 14 février dernier, et si je sais bien compter cela fait 12 histoires nouvellement illustrées, à découvrir par une nouvelle génération de petites têtes blondes ou brunes ou rousses, peu importe, à partir de 7 ans.



Et rassurez-vous, bien que l’Espionne fête cette année ses 23 ans, Romarine, elle, en a et en aura toujours 10.

Mais Églantine Ceulemans ne s’est pas arrêtée en si bon chemin. La collection BD Kids du même éditeur lui a offert d’accueillir L’Espionne en bande dessinée. Alors elle a retroussé ses manches, a conçu la scénarisation des histoires que Marie-Aude Murail avait écrites et elle a rangé Romarine, sa mère, son père souvent raplapla, sa sœur Boubouillasse et son grand frère Noël, sans oublier son club d’espionnage et sa maîtresse de CM1, l’inventive Mme Maillard, dans des dizaines de petites cases et des centaines de petites bulles. Le tome 3 de l’Espionne en version BD est paru le 17 janvier dernier.



Quand on lui a demandé pourquoi elle avait créé Romarine, Marie-Aude Murail qui jusqu’alors n’avait conçu sur le papier que des héros garçons, a répondu en gros : parce que j’avais une fille de 6 ans pleine de malice. Et elle a précisé :

« Je suis une espionne. J’écoute sans en avoir l’air les conversations dans les cafés et les magasins, je rêve sur les couples qui passent, je fais des hypothèses sur la vie des gens d’après leurs caddies pleins, je laisse parler les enfants autour de moi, j’écoute, je traverse lentement les jardins, les cours de récré, je regarde.

Il est bien évident que je n’ai pas eu d’emblée le projet de faire avec Romarine un personnage qui serait une métaphore de l’écrivain que je suis. Je raconte des histoires et je laisse mon inconscient bricoler tranquille dans son coin. Mais je me suis tout de suite rendu compte que l’Espionne me plaisait par l’énergie qu’elle dégageait et sa manière de rendre le quotidien « très, très intéressant ». Elle m’a fait rire par sa désinvolture, ses petits accommodements avec la morale, son intérêt pour la vie sentimentale des plus grands. J’ai compris qu’elle avait aussi la capacité de m’émouvoir. Comme ma propre fille quand elle me racontait au début des années 2000 ses amours débutantes et ses malices de fille. » Fin de la citation.

Et si nous écoutions maintenant Romarine nous conter sa vie trépidante d’espionne. Ah, la première histoire de la saison 4 s’appelle « L’espionne s’énerve » …


L'espionne saison 4 - Marie-Aude Murail, illustré par Églantine Ceulemans -Bayard jeunesse (112 pages, 10,90 €)

L'espionne en mission spéciale - BD d'Églantine Ceulemans, d'après la série de Marie-Aude Murail - Bayard BD Kids (69 pages, 10,50 €)

Les Mille vies d'Ismaël

 C'est un peu étrange de penser qu'on est au bout de sa vie alors même qu'on ne l'a pas encore commencée. C'est pourtant...