vendredi 22 décembre 2017

Noël à tous les étages



Noël à tous les étages : Bayard a eu la bonne idée de republier ce récit de Marie-Aude Murail, paru dans le mensuel J’aime Lire il y a presque vingt ans.

Du conte de Noël, il en a tous les traits, soulignés par les délicates aquarelles de Boiry qui l’illustrent. On est en décembre, dans le Paris du milieu du XIXème siècle. Si Noël se prépare effectivement à tous les étages, c’est dans des conditions bien différentes. La société de ce temps-là est stratifiée verticalement. Au premier, à l’étage noble des immeubles de l’époque, vivent de riches bourgeois, les Lenormand, servis par une domesticité qui, elle, survit péniblement sous les toits aux côtés de quelques étudiants désargentés, dans des pièces mansardées, brûlantes en été et glaciales en hiver.

Jeanne, couturière chez les Lenormand, élève comme elle peut Hugues, son petit frère qui loge avec elle tout là-haut. En ce mois de décembre enneigé, Hugues est gravement malade et la fièvre qui l’assaille se mêle à un autre désir aussi furieux que fiévreux, celui d’apprendre à lire. Malheureusement, Jeanne elle-même n’a jamais appris et elle est davantage préoccupée par l’état de santé de son jeune frère et le Noël qu’elle aimerait inventer pour lui avec ses maigres moyens. Hugues, lui  se débat dans son lit contre la maladie et s’impatiente du souci impuissant de sa sœur, comme si le temps lui était désormais compté.


Deux orphelins, un enfant menacé de mort, une jeune fille pauvre, quelle lumière va bien pouvoir éclairer ce tableau misérable ? Un jeune étudiant amoureux, peut-être ? C’est tout l’art de Marie-Aude Murail de brosser ce drame social et familial en quelques feuillets et de le mener jusqu’à son dénouement, revisitant d’une écriture toute moderne, quoiqu’en costumes d’époque, la thématique du conte de Noël, si bien exaltée en son temps par Charles Dickens.

Noël à tous les étages - Marie-Aude Murail - Bayard (45 pages, 6,50 €)

Retrouvez cette chronique sur RCF Loiret (extrait lu à 2:04)


Un portrait de Marie-Aude Murail ? Cliquez ici.

vendredi 15 décembre 2017

Roslend, Trisanglad (tome 2)

La guerre à l'heure de Staline et de l'Alter monde



Je vous ai parlé la semaine dernière du second tome de la trilogie Les porteurs de C. Kueva. Les hasards de la programmation éditoriale font que vient de paraître le second tome d’une autre trilogie que je vous avais présentée, celle de Roslend, écrite par Nathalie Somers.

Vous vous souvenez peut-être que l’autrice nous offrait une relecture de la Seconde guerre mondiale, en plaçant un jeune héros, Lucan, et son amie d’enfance Catriona, dans l’enfer du Blitz londonien. Exploitant la veine des mondes parallèles, elle faisait basculer Lucan de Londres à Roslend, pays imaginaire, lui aussi assiégé comme l’Angleterre de Churchill, par un ennemi impitoyable, le Brac Marquel.

Dans ce deuxième tome, la guerre se poursuit et Lucan se trouve missionné par Churchill auprès de Staline lui-même. En 1942, la bataille décisive de Stalingrad est engagée et va décider du sort de la guerre, même si aucun des protagonistes n’en a encore la claire vision. Méfiant au départ, Staline va considérer Lucan, grâce à un subterfuge de Churchill, comme une sorte de voyant capable peut-être de l’éclairer sur les décisions stratégiques à prendre face à l’avancée de l’armée nazie. Lucan craint fort de ne pas pouvoir tenir longtemps ce rôle auprès du redoutable chef de l’empire communiste.

Nathalie Somers nous plonge au cœur du Kremlin, où Lucan et son amie Catriona qui l’a accompagné, font  connaissance de Svetlana, la fille de Staline, qui a leur âge, et cherche à secouer le joug paternel. Aussi gâtée soit-elle par le maître de l’Union soviétique, elle se vit prisonnière, surveillée, et l’arrivée des deux jeunes Londoniens est pour elle une fenêtre inespérée ouverte sur le monde.

Dans l’Alter Monde, parallèle à l’Ego Monde déchiré par la guerre, rien ne va plus. L’ampire de Trisanglad, que nous découvrons, allié traditionnel de Roslend, est assiégé par le Brac Marquel qui, s’il l’emporte, deviendra la maître absolu de l’Alter Monde.
En dépit des dangers encourus, Lucan va repartir dans ce monde parallèle, grâce au cadran d’horloge que lui a légué son grand-père juste avant de mourir. Il y est poussé par son goût de l’aventure, mais pas seulement. Il sent avec une certitude croissante que le mystère de ses origines, que son grand-père ne lui a jamais révélées, est lié à Roslend, et c’est cette quête personnelle qui l’entraine irrésistiblement de l’autre côté, surveillé par sa fidèle Catriona.

Mêlant toujours aussi habilement l’histoire vraie de l’Ego Monde et la fiction de l’Alter Monde, Nathalie Somers trame un récit de plus en plus prenant où tous ses personnages prennent de la profondeur, les bons comme les méchants, au point que cette ligne de partage semble parfois troublée. La grande Histoire et la petite en deviennent peut-être moins manichéennes.

Roslend, Trisanglad (tome 2) - Nathalie Somers - Didier Jeunesse (384 pages, 17 €)

Pour écouter cette chronique sur RCF Loiret (extrait du livre lu à 3:02)


vendredi 8 décembre 2017

Les porteurs #2 - Gaëlle

Quand une fille entre en résistance...



Le 19 mai dernier, je vous avais présenté ici même le premier volume des Porteurs, une trilogie écrite par C. Kueva - C pour Catherine. Dans ce roman d’anticipation, l’auteur, qui ne veut pas se dire autrice, nous transportait dans une société post-apocalyptique où le genre des individus n’est plus donné à la naissance mais choisi à 16 ans. Comme pour conférer son plein sens à la formule psycho-sociologique de Simone de Beauvoir : on ne naît pas femme, on le devient. Sauf que dans ce monde-là, la formule est biologique et s’applique aussi aux garçons potentiels.

Le premier tome était centré sur Matt, qui s’avérait être porteur d’une anomalie génétique rendant le traitement de sexuation inopérant. Matt se voyait donc condamné à rester neutre, ni homme ni femme pendant de longues années, ce qui ne faisait pas l’affaire de son amie Gaëlle déjà en route vers son destin assumé de femme amoureuse, et qui se retrouvait face à un être humain inachevé.

Dans ce deuxième tome, centré sur Gaëlle, nous reprenons l’histoire là où s’était achevée la première partie : à la mort brutale de Lou, assassiné par balles dans un parc public, sans mobile apparent. Crime crapuleux, passionnel ou crime d’Etat ? Nul ne le sait. Mais Gaëlle, jalouse de l’ascendant que ce Lou un peu mystérieux semblait avoir pris sur Matt, se sent à la fois soulagée et coupable de cette mort dont elle est en partie responsable. C’est elle qui, ce jour-là, avait donné rendez-vous à Lou dans le jardin.

Suit une longue analepse (ou un flashback si vous préférez la version anglaise). L’histoire semble repartir au début, sauf que tout est vu désormais du point de vue de Gaëlle. De son côté, il y a en effet de sérieux blancs à explorer, que le tome 1 avait laissé de côté. Gaëlle vit seule avec sa mère qui ne lui a jamais rien dit de son père, si ce n’est qu’il était parti. Secret de famille ? La mère de Gaëlle est une sorte de résistante : elle travaille avec une militante de l’accouchement naturel, alors que la norme pour toutes les femmes qui accouchent, c’est la césarienne. Ce groupe de santé dissident est mal vu par les services de l’Etat qui ont mis sous tutelle non seulement la fonction de sexuation mais aussi celle de reproduction. Gaëlle va bientôt rencontrer d’autres résistants à l’ordre établi, en la personne du jeune Filippi et de son grand-père Tonio, deux naturalistes qui cultivent en toute illégalité des plantes traditionnelles et en tirent des remèdes clandestins. Tandis que Matt, fuyant et indéterminé, disparaît de plus en plus souvent, irrésistiblement séduit par Lou, Gaëlle ne reste pas insensible au charme rebelle de Filippi, un « vrai » garçon. D’autant que Gaëlle et Filippi se découvrent beaucoup de choses en commun. Gaëlle a un autre souci. Son amie Flo refuse de choisir un sexe et de subir le traitement qui la transformerait en homme ou en femme. Si Matt ne peut pas, Flo, elle, ne veut pas. Mais en a-t-elle le droit ?

Dans ce deuxième tome, Kueva développe l’univers aussi attirant que menaçant mis en place dans le premier. D’un côté, la vie sans les soucis du genre jusqu’à 16 ans semble permettre un développement harmonieux des êtres. De l’autre côté, des mensonges d’Etat sont bien entrevus mais ils sont trop gros pour être dénoncés : d’ailleurs, la vérité n’est-elle pas trop effrayante pour qu’on puisse s’y confronter ? L’Histoire n’a-t-elle pas été réécrite pour la masquer ? Les porteurs sont-ils des êtres déficients ou exceptionnels ? Gaëlle se bat et se débat dans un monde dont elle cherche les clés, non sans courage. Qui les détient ? Le pouvoir établi ou ceux qui lui résistent ? Et qui est vraiment Lou ? C’est à suivre…

Les porteurs, #2 – Gaëlle – C. Kueva – éditions Thierry Magnier (330 pages, 14,90 €)

Pour réécouter la chronique diffusée sur RCF Loiret (extrait lu à 3:53 )



vendredi 1 décembre 2017

Le réveil de Zagapoï


Au cœur de la forêt amazonienne, une expérience contre Nature...



Pour un Français de métropole, vivre en Guyane peut être une expérience fondatrice, si du moins on accepte de s’immerger dans une nature qui s’écrit là-bas d’emblée avec un grand N. Enseignant à Saint-Laurent du Maroni dans les année 90, Yves-Marie Clément en a rapporté des impressions durables qu’il délivre à nouveau aujourd’hui dans Le réveil de Zagapoï, un conte mi-réaliste mi-fantastique.

Côté réaliste, on découvre Adriana en chef d’une équipe scientifique financée par un puissant laboratoire. Cette équipe est envoyée au cœur de la forêt amazonienne pour tester en vraie grandeur, après les essais en laboratoire, les effets d’un puissant insecticide capable d’éradiquer un ennemi mortel des humains : le moustique, cette petite bestiole jugée simplement agaçante sous nos latitudes, mais dont on sait qu’elle est le vecteur de tant de pathologies invalidantes voire mortelles de par le monde. Compte tenu des enjeux médicaux et financiers colossaux, la pression mise sur l’ensemble de l’équipe par le professeur Todorov, spécialiste mondialement reconnu des quelque 3000 sortes de moustiques recensées, est très forte.

Côté fantastique, on imagine immédiatement que l’expérimentation ne va pas se passer  comme le professeur Todorov l’avait vendue à son commando scientifique parachuté dans la jungle amazonienne.

Yves-Marie Clément a composé un thriller à trois voix. Celle d’Adriana, fille de la Guyane, qui tient le journal de sa mission jour par jour ; la voix de ceux que Clément nomme Les Habitants, pour bien marquer la légitimité qu’ils ont à vivre là : la flore et la faune guyanaise, dans son immense richesse ; et ceux qu’il nomme Les Autres, les intrus de la Nature, toute l’équipe de la mission incluant le professeur Todorov qui s’est replié à Cayenne pour suivre à distance prudente le déroulement des opérations.

Ces trois voix, tout au long du roman, dialoguent, se répondent et au fur et à mesure que se dévoilent les buts réels de l’opération, vont s’affronter sourdement puis ouvertement et brutalement, lorsque l’esprit de la forêt, nommé Zagapoï, se sera réveillé pour mener le combat final.


On l’a deviné, Le réveil de Zagapoï est à la fois une fable écologique et un conte d’avertissement. Le moindre de ses intérêts n’est pas de nous faire découvrir la richesse de la faune et de la flore guyanaise et d’en faire battre pour le lecteur, le cœur vivant, au fil d’une histoire palpitante de bout en bout.

Le réveil de Zagapoï - Yves-Marie Clément - Le Muscadier (2/11/2017) - (184 pages, 12,50 €)


vendredi 17 novembre 2017

Naissance des cœurs de pierre


Une insidieuse descente aux enfers. Jusqu'où ?


Ne vous fiez pas à la splendide couverture de ce livre : une silhouette androgyne, vue de dos, semble prête à émerger dans la lumière, au sortir d’un couloir à la froide géométrie… Eh bien non, noir c’est noir. Naissance des cœurs de pierre, le nouveau livre d’Antoine Dole est une lecture sombre, oppressante, poisseuse, qu’il est pourtant difficile de lâcher une fois entamée. Avec une habileté machiavélique, l’auteur place son lecteur dans deux tunnels narratifs, en alternance, sans connexion ni communication apparente et sans qu’il soit possible d’y faire demi-tour. 

Dans le premier, on chemine avec une mère et son garçon dans un monde grisâtre d’âmes mortes, séparé de l’Ancien par un Mur Frontière. Seuls y survivent ceux qui se soumettent à un mystérieux Programme dont on comprend rapidement qu’il vise à annihiler tout sentiment, éprouvé ou exprimé. Jeb, le jeune garçon arrive à l’âge où l’attendent des tests au cours desquels il devra prouver qu’il est apte à recevoir l’injection qui l’intégrera définitivement dans ce Nouveau Monde. Au seuil de cette épreuve, quelque chose en lui se rebelle instinctivement mais sa mère, Niline, qui semble déjà sous l’emprise totale du Programme, ne peut ni ne veut entendre ses doutes et ses angoisses. 

Dans le second tunnel, Aude débarque dans un lycée parisien d’excellence où elle se retrouve immédiatement en butte au harcèlement des autres élèves. Les choses semblent pourtant s’améliorer quand elle se met à rencontrer en cachette un surveillant qui la comprend et la soutient et dont elle tombe évidemment amoureuse. Pourtant, dans chaque tunnel, la situation ne va faire qu’aller en empirant. Lorsque les deux conduits parallèles se rejoignent et se raccordent, ce sont deux bulles étouffantes qui explosent au nez du lecteur, qui comprend alors qu’elles n’en faisaient qu’une.


On ne prescrira pas cette lecture en fin de soirée à un ado déprimé. Mais les amateurs de dystopies ou  de romans noirs apprécieront sa force narrative. Je le rangerais volontiers, aussi, dans les contes d’avertissement à l’usage des jeunes filles trop naïves pour résister aux pervers narcissiques et aux gourous de tout poil.

Pour écouter cette chronique sur RCF Loiret (et un extrait lu à 2:25) :




vendredi 10 novembre 2017

16 nuances de première fois

Bien des nuances autour de ce moment délicat et impérieux, attendu et redouté, lorsque filles et garçons sortent définitivement de l'enfance.




Quelle bonne idée que ce recueil de nouvelles écrites à parité stricte par 8 auteurs et 8 autrices jeunesse, et coordonné par Manu Causse et Séverine Vidal ! Tous ont su restituer les peurs, les émotions et le si vif désir éprouvés par les adolescent.e.s lors de leur « première fois ». On aura compris qu’il ne s’agit ici ni du premier tour de manège, ni même de la première cigarette fumée en cachette.

C’était une bonne idée car entre les manuels de SVT assortis de manipulations de préservatif sous l’égide de l’infirmière scolaire et les images gavantes de YouPorn, il y a assurément place pour des récits initiatiques racontant sans fards et sans complaisance ce passage obligé vers l’âge adulte. Bien des romans pour la jeunesse l’évoquent, mais pas avec cette concentration et cette intensité. Dans ce livre, qu’on pourrait qualifier de « spécialisé », on ne pense qu’à ÇA, comme 100 % des ados à partir d’un certain âge !

Dans sa préface, Alain Héril, psychanalyste, rappelle une évidence : « la première relation sexuelle marque une sortie définitive de l’enfance ». Soulignant que l’âge moyen du premier rapport n’a guère varié depuis trente ans – 16 ans et trois mois pour les garçons, 16 ans et 6 mois pour les filles – il prend soin aussi de souligner qu’il n’y a pas – et c’est heureux - de mode d’emploi universel de la chose…

A quel point chaque expérience est singulière, côté fille comme côté garçon, les 16 histoires en fournissent la plus parfaite des illustrations. Chaque auteur.e a choisi un angle original, parfois même une forme audacieuse, à l’instar de Clémentine Beauvais qui imagine une discussion entièrement par sms, coupures de réseau incluses, entre deux amies, l’une, en camping dans un trou perdu, qui raconte son « expérience » à l’autre, dévorée par l’impatience de savoir ce que sa copine a vécu. C’est constamment comique et très sérieux à la fois. Antoine Dole, lui, a construit une vraie nouvelle avec sa chute, « la goutte de lumière » finale, chère à Barbey d’Aurevilly, qui fait relire instantanément toute l’histoire depuis le début. Il y a des premières fois en rêve sinon de rêve, d’autres manigancées à trois et qui finissent à deux, il y a un miroir qui raconte, il y a une première fois qui tourne en prochaine fois, des initiatrices providentielles pour garçons timides, clichés  de la suédoise blonde avec accent ou de la grande sœur de la copine, etc.

On saura gré à ces jeunes écrivaines et écrivains non seulement d’avoir appelé un chat un chat, sans périphrase pudibonde, mais encore d’avoir enchâssé leurs jeunes chats et chattes dans de vraies rencontres, fussent-elles un peu foireuses, notamment celles qui se déroulent à la faveur de soirées lycéennes, abondamment enfumées et alcoolisées pour noyer le poisson. Sur le sujet, on les créditera aussi d’avoir raconté des histoires sans nous raconter d’histoires : la première fois est une aventure intensément désirée ET une épreuve redoutée. Elle ouvre pour la vie entière une boîte de Pandore, celle de la libido, de ses joies et de ses errances. Elle peut se passer assez mal, sans vrai consentement côté fille – mais on pourrait parler aussi de la pression de conformisme macho qui s’exerce sur les garçons. A quoi consentent-t-ils, eux aussi ? Un ou deux récits ont ici valeur de conte d’avertissement, en particulier Mon beau miroir, d’Emmanuelle Urien. C’est pourquoi chaque jeune lecteur et lectrice pourra en tirer des leçons utiles, même si sa première fois à lui ou à elle, avec toute sa force et toute sa singularité, viendra à coup sûr les balayer.

Quant aux lecteurs adultes – tout ce qui se passe ici est évidemment hors de leur regard et de leur juridiction - ces récits réactiveront sûrement leurs souvenirs et leur feront peut-être reconsidérer la manière dont leur propre première fois a pu éclairer ou assombrir, en tout cas colorer encore aujourd’hui, la suite de leur vie sexuelle et amoureuse.

16 nuances de première fois, coordonné par Manu Causse et Séverine Vidal propose, dans l’ordre d’apparition des textes de : Clémentine Beauvais, Benoît Broyart, Hélène Rice, Arnaud Tiercelin, Antoine Dole, Emmanuelle Urien, Axl Cendres, Manu Causse, Rachel Corenblit, Cécile Chartre, Driss Lange, Taï-Marc Le Thanh, Gilles Abier, Sandrine Beau, Chrysostome Gourio et Séverine Vidal. Ce livre est publié aux éditions Eyrolles (190 pages, 14,90 €)

En podcast sur RCF Loiret :



vendredi 3 novembre 2017

Y a pas de héros dans ma famille !

A-t-elle pensé à La vie est un long fleuve tranquille ? En tout cas, le Maurice dit Mo de Jo Witek évoque immédiatement le Maurice Le Quesnoy dit Momo du film d’Etienne Chatiliez. La comparaison s’arrête là d’ailleurs. Dans Y a pas de héros dans ma famille, Maurice Dambek, à l’occasion d’un exposé à préparer avec son ami des beaux-quartiers Hyppolyte Castang, découvre chez celui-ci une galerie d’ancêtres prestigieux, certains morts d’autres encore vivants :  un prix Nobel de physique, un grand-père écrivain et historien,  un acteur de la Comédie française, un chirurgien médecin du monde, n’en jetez plus, la cour est pleine.

Mo revient chez lui à la fois énervé et raplapla, incapable de mettre des mots sur ce qu’il ressent après avoir fait ce constat qui donne son titre au livre : il n’y a manifestement pas de héros chez lui. Incapable a fortiori de confier à sa famille ce qui le tourmente, sauf à leur dire « vous n’êtes tous que des gros nuls ! » Il aime bien sa maman qui fait les meilleures crêpes du monde et son papa chineur-brocanteur, qui fait les poubelles et les vide-grenier. Mais tout son petit monde familier a subitement rétréci. Et d’être le seul bon élève dans une fratrie plutôt à la ramasse ne parvient plus à le consoler.

Il finit par s’embrouiller avec Hippolyte et se battre avec lui, lui qui n’a jamais fait de mal à une mouche. Et il lâche le morceau qu’il rumine depuis un moment à sa famille qui se vexe, se cabre mais, à son insu, va lui concocter un plan d’enfer pour le réconcilier avec ses ancêtres, ses racines et au final, chasser la honte qui lui pourrissait la vie.

Jo Witek conduit un récit alerte, haut en couleurs, disséquant les préjugés de classe, les souffrances secrètes qu’ils engendrent. C’est un récit à deux voix inégales, celle de Mo et celle de Maurice, qui vont pourtant trouver peu à peu l’unisson et l’apaisement.

Y a pas de héros dans ma famille ! faisait partie de la sélection du Grand prix des lecteurs du Journal de Mickey 2017 

Y'a pas de héros dans ma famille - Jo Witek - Actes Sud junior (133 pages, 13,50 €)


En podcast sur RCF Loiret (écoutez un extrait à 2:14) :



Et pour découvrir Jo Witek avec La Charte.

vendredi 27 octobre 2017

Puisque c'est ça, je pars !



Comment échapper au regard décidé de cette petite fille qui se plante dans le vôtre ? Puisque c’est ça, je pars, le dernier album d’Yvan Pommaux, vous happe dès sa couverture. Et dès la première page, nous savons que nous allons suivre Norma et son singe Jojo, où qu’ils nous entraînent.

Jojo est présentement en mauvaise posture. Enterré jusqu’au cou dans un bac à sable par des bandits cruels, il passe un fichu quart d’heure, alors que des milliers de fourmis rouge s’apprêtent à le déchiqueter.

Assise sur son banc, maman appelle Norma : « On s’en va, secoue ton Jojo » mais Norma n’entend pas maman. Elle continue à jouer, surtout quand le portable de sa mère se met à coasser, signal d’une longue conversation qui va absorber l’élégante jeune femme, toute de blanc vêtue sous un élégant chapeau de paille.

Au point que maman ne voit plus Norma qui s’est plantée devant elle et attend la confirmation d’un autre signal, celui, annoncé, du départ. Or, celui-là ne viendra plus. Le correspondant au téléphone semble désormais beaucoup plus important que Norma.  « Tu vois bien que je téléphone ! » lance la mère, agacée, à sa fille qui insiste. Tout est dit. Vexée de compter moins qu’un portable, Norma décide de quitter sa maman, « loin… et pour toujours ! ».

Dès lors, le jardin quotidien se fait jardin extraordinaire. Chaque détail prend vie, change de proportion. Les statues s’animent, une lionne de pierre se transforme en panthère, les fleurs deviennent des géantes multicolores. Au détour d’une allée, Norma a croisé Félix, aussi délaissé qu’elle par sa mère, et l’a entraîné à sa suite dans les allées du parc.

Les deux enfants des villes sont maintenant dans la jungle, sous la menace de créatures fantastiques auxquelles ils n’échappent que de justesse, guidés par Bidule la libellule. Dans leur course éperdue, Norma perd Jojo. Cette perte va la ramener brutalement sur Terre. Les sortilèges se défont. Les aventuriers ne sont plus que deux enfants égarés. Vont-ils retrouver leur mère ?

Valeur sûre du monde des illustrateurs, Yvan Pommaux est resté contre vents et marées fidèle à la ligne claire de ses débuts et à Nicole son épouse et coloriste préférée. Leur tandem fait encore merveille dans cet album qui n’est pas une simple succession de tableaux, aussi somptueux fussent-ils. Les albums d’Yvan Pommaux racontent aussi une histoire et ce n’est pas leur moindre mérite que d’éviter les « et puis » et les « et alors » de bien des productions contemporaines pour les plus jeunes, qui enfilent souvent les images comme des perles.


Jouant sur deux motifs fondamentaux de l’enfance, celui de la fugue et celui de la peur de l’abandon, Pommaux alterne les pleines pages, parfois doubles, avec les cases de BD, ou les dessins hors cadre. Sa mise en scène s’en trouve rythmée, tantôt nerveuse, tantôt contemplative. En lisant cet album à un enfant, même tout petit, on prendra plaisir à retrouver avec lui tel ou tel détail du décor transfiguré d’une page à l’autre. Un plaisir inépuisable. Et n’oubliez pas de rallumer votre portable après la lecture…

Puisque c’est ça, je pars - Yvan (et Nicole) Pommaux - l’école des loisirs (44 pages, 14,80 €) 

En podcast sur RCF Loiret :

vendredi 20 octobre 2017

Le bonheur est un déchet toxique



Nathan a quinze ans. Il lui semble qu’il vit avec son père depuis toujours. D’ailleurs il lui a dit : ta mère est morte quand tu étais tout petit. Sauf que là, c’est papa qui meurt. Son cancer lui aura donné un sursis de trois ans. Trois années pendant lesquelles Nathan a passé de longues heures à l’hôpital. Comme lui a dit son père : ton ADN, à 50 %, c’est moi. Est-ce cette foi transmise dans la  génétique ? Dans sa tête, Nathan continue à parler à son père, et son père lui répond.

La suite semblait toute tracée : Nathan allait vivre à Lyon chez tata Anne avec ses deux cousins, Mona et Mathis, les M&M’s complices de toutes les vacances depuis l’enfance. Sauf que coucou, l’autre moitié de l’ADN réapparaît. Finalement, maman n’était pas morte, c’était la dernière blagounette posthume de papa. Et maman a décidé qu’elle récupérait son ado après 14 ans d’absence. Ce plan imprévu ne ravit pas Nathan : une mère vegan inconnue, qui tient à l’appeler par son prénom entier Nathanaël et l’embarque dans un trou perdu, il va lui falloir du temps pour s’y faire.

Manu Causse nous raconte ce lent apprivoisement mutuel de deux animaux farouches que rien ne lie sinon le sang. Nat, Nathan, Nathanaël découvre ses grands-parents maternels, vieux paysans taiseux aux prises avec une agriculture au bord de la faillite et du désespoir. Doucement, pourtant, les charmes de la nature le pénètrent, comme ceux d’une certaine Zoé dont il tombe amoureux transi. Nathanaël se réenracine.

 Aussi, quand un projet de décharge de déchets toxiques s’apprête à bouleverser le paysage, quand les militants anti débarquent pour constituer une zone à défendre, Nathanaël va faire un nouvel apprentissage, dans les pas de Zoé, aux côtés de sa mère retrouvée. Entre manifestations bon enfant et charges des CRS, c’est à l’éveil d’une conscience politique que nous assistons, décillée face à la brutalité du monde.

Manu Causse confie à Nathanaël la narration directe de ses découvertes successives, des deuils de l’enfance au seuil de l’âge adulte, en passant par les premiers émois amoureux de l’adolescence.


Dans une courte postface, l’auteur nous dévoile, comme le font désormais beaucoup d’auteurs jeunesse, une partie de ses sources d’inspiration, puisées autant dans sa vie personnelle que dans l’actualité. 

Le bonheur est un déchet toxique – Manu Causse – Thierry Magnier (274 pages, 14,50 €

En podcast sur RCF Loiret (écoutez un extrait à 2:25) :

vendredi 13 octobre 2017

Dans la forêt de Hokkaido



Le livre d’Éric Pessan aurait pu s’appeler « je rêve des histoires vraies ». Dans la forêt de Hokkaido est le récit d’une rencontre à distance, entre un jeune japonais insupportable, abandonné sur le bord de la route par son père excédé, et une ado qui rêve si fort qu’elle va vivre en sa chair, heure par heure, minutes par minutes, les errances et les tourments du petit garçon égaré dans la nature, à 10 000 km de là.

Au départ, Julie ignore évidemment tout de ce minuscule fait divers, à l’autre bout du globe, qui va passionner l’opinion nippone pendant quelques jours. Elle sait simplement que dès qu’elle se rendort, elle revoit un garçon dans la forêt, perdu et apeuré, assoiffé et affamé. Que le je de Julie et le il de Yamoto puisse devenir un nous, là est le nœud de l’histoire, que noue délicatement Eric Pessan à l’aide de sa jeune narratrice.

Est-ce que la télépathie existe ? Julie vit dans son corps, jusqu’à s’en rendre malade, la passion de Yamoto. Elle va jusqu’à décaler ses heures de sommeil pour pouvoir rêver, c’est-à-dire être avec le jeune garçon pendant que lui est éveillé. Au bord du dénouement, Julie découvrira ce qui, dans sa propre histoire, l’a peut-être préparée et induite à vivre par procuration une aventure si lointaine et si proche. La communion extrême des deux enfants reste un mystère. On ignore ce que le Japonais en éprouva, ni s’il dut réellement son salut à l’empathie de la Française ou simplement à la chance et aux efforts déployés par tout un pays pour le retrouver.


Nous arrivons à un moment de notre Histoire où le plus léger drame peut résonner bien au-delà du premier cercle des proches et solliciter, pendant quelques heures voire quelques jours, l’attention d’une foule d’inconnus répartis sur toute la Terre. Sommes-nous en train de développer une nouvelle sensibilité, une sorte de sixième sens ? Le cas Julie reste une fiction greffée par un écrivain sur un événement réel. Mais est-ce que d’avoir à chercher de plus en plus souvent « des réponses aux questions inquiètes du monde », comme l’écrit Éric Pessan à la fin de son livre, pourrait, dans un avenir proche, transformer durablement notre esprit et nos vies mêmes ? C’est peut-être la leçon prophétique de cette étrange histoire.

Dans la forêt de Hokkaido - Éric Pessan – l’école des loisirs (134 pages – 13 €)

En podcast sur RCF Loiret (écoutez un extrait à 2:24)

vendredi 6 octobre 2017

Le phénomène Philomène



Juliette et Anatole sont en 3ème. Anatole est un drôle de zig, une sorte de Grand Duduche souvent dans la lune. Autant dire que si son prénom rime avec école, c’est bien la seule chose qui s’accorde, entre le collège et lui. Plutôt solitaire, plutôt du genre à passer ses récréations assis sur un banc à lire ses mangas, il n’a pas beaucoup d’ami.e.s, en dehors de Juliette, qui est peut-être un peu plus qu’une copine pour lui. Mais il n’est pas encore au courant. Juliette, si, et c’est elle la narratrice.

La vie d’Anatole va changer du jour où il découvre, assise en classe à côté de lui, là où il n’y a jamais personne, une certaine Philomène, qu’il n’a jamais vue. Non seulement c’est une nouvelle, mais il comprend vite que si elle lui parle et qu’il lui répond, il est le seul à l’entendre et à la voir. Pour la bonne et simple raison que Philomène est un fantôme, celui d’une jeune fille morte en 1870 sur les lieux de l’actuel collège.
Dans la littérature comme dans la vie, le fantôme incarne toujours un tourment du passé qui n’a pas su trouver l’apaisement et le cherche désespérément parmi les vivants. Cette incarnation est plus ou moins forte. Dans le cas de Philomène, c’est un vrai phénomène, qui va entraîner Anatole dans une drôle d’aventure, le sortant assez violemment de son monde de rêverie permanente.

Que cherche Philomène ? C’est tout ce que le roman d’Emmanuelle Cosso nous amène à découvrir progressivement à travers le récit de Juliette. Fantôme du passé, Philomène fait revenir Anatole dans le Paris de 1870, assiégé et affamé par les Prussiens. Où Anatole croise Sœur Charlotte, enseignante fantôme elle aussi d’une classe non moins fantôme tapie dans les sous-sols du collège… En l’entraînant jusqu’au cœur d’un drame irrésolu, Philomène va se servir d’Anatole pour se libérer de ses chaînes – tout fantôme a les siennes, c’est bien connu.

Heureux les cœurs purs, ils verront les âmes enchaînées pourrait être la leçon du Phénomène Philomène. Emmanuelle Cosso impose sa fantaisie dans cette fable réaliste et improbable, où l’on croise aussi la police, les Pompiers de Paris et la Garde républicaine.

Vous allez me dire que les fantômes, ça n’existe pas ? Pour ma part, je n’ai jamais rencontré de Philomène. Mais je crois au fantôme tel que l’ont défini les psychanalystes Torok et Abraham : le fantôme, c’est "le travail dans l’inconscient du secret inavouable d’un autre". Songez à tout ce qui vous travaille et vous commencerez peut-être à ressentir vos fantômes intimes, sinon à les voir comme Anatole.

Le phénomène Philomène - Emmanuelle Cosso - éditions Sarbacane, collection Pépix (à partir de 8 ans, 256 pages, 10,90 €)

En podcast sur RCF 45 (écoutez un extrait à 2:31)

vendredi 29 septembre 2017

Bye Bye Bollywood



Que faire quand votre mère, garantie bio, vegan et zen vous annonce qu’elle vous emmène passer 18 jours en Inde (au lieu des 15 réglementaires qu’accorde l’Education nationale) ? Sauter de joie évidemment. C’est ce que font Nina 15 ans et sa petite sœur Garance, qu’elle aime ou déteste selon les moments de la journée. La perspective de se retrouver au pays des comédies sentimentales produites par Bollywood ravit Nina sauf que… 

Au final, c’est dans un ashram que se retrouvent la mère et les deux filles. Lever à 6 h du matin, pas de petit-déjeuner et pas de steak frites à midi. Nina fait sa crise d’adolescence depuis quelques mois déjà et les choses ne vont pas s’arranger avec sa mère. Heureusement, à table, adultes et enfants sont séparés. Nina et Garance se retrouvent en face des deux seuls autres enfants venus avec leurs parents : un ado nommé Jésus – mais c’est un prénom courant en Espagne et Jésus est espagnol – et sa petite sœur, Zaouïa avec qui Garance va pouvoir jouer à la grande sœur. Nina et Jesus se regardent un peu en chien de faïence au début. Le fort en maths qui sait tout sur tout n’inspire pas beaucoup Nina. Mais comme celle-ci est condamnée à se laisser guider par lui pour trouver une connexion internet qui fonctionne, sans laquelle une ado ne saurait survivre, elle le suit dans le brouhaha des rues. Peu à peu, les deux jeunes gens s’apprivoisent. Lorsque Garance leur dit qu’elle a entrevu, par la fenêtre, une scène violente dans la maison d’à côté entre un adulte et une jeune fille de leur âge, scène qui se répète, ils décident de mener l’enquête…

Hélène Couturier nous plonge dans l’Inde contemporaine, grouillante et convulsée, accueillante et déchirée entre modernité et traditions. En rencontrant la jeune Fulki, promise en mariage à un homme beaucoup plus âgé qu’elle, Nina, Jésus et Garance vont découvrir une société qu’ils n’imaginaient pas. Ils croiseront aussi Sampal Pat, une Indienne bien réelle, qui a décidé de se battre avec d’autres femmes pour protéger leurs consoeurs de la domination masculine et de ses coutumes inégales et cruelles.

Bye bye Bollywood, c’est le dépaysement garanti. Mais c’est aussi, chose plus courante dans la littérature jeunesse, le récit d’une naissance, celle du sentiment amoureux. Conduite là où elle ne voulait pas aller, Nina finira par regretter de devoir en partir… Mais la fin des vacances n’est peut-être pas la fin de tout !

Bye bye Bollywood - Hélène Couturier - Syros (213 pages, 14,50 €)

En podcast sur RCF Loiret (écoutez un extrait à 2:24) :

vendredi 22 septembre 2017

La maîtresse donne trop de devoirs


La rentrée est derrière nous, mais l’école, elle, est toujours là, et bien là. Elle s’invite même jusque dans nos foyers, mobilisés par la ronde des devoirs à la maison. Solène est en CM1 et sa maîtresse, Madame Lacriz, sans doute soucieuse de bien faire, noircit les cahiers de textes de ses jeunes élèves.
Et tous les soirs c’est le branle-bas de combat. Solène n’est pas très bonne élève, au contraire de son amie Gabriella. Elle oublie ses affaires, mélange les consignes de la maîtresse et s’effondre régulièrement en sanglotant, espérant que sa maman ou son grand frère prenne le relais.
Avec ce petit livre plein d’humour, Marie-Aude Murail se livre mine de rien à une critique en règle d’une école primaire dont les pratiques – les devoirs à la maison - renforcent insidieusement le caractère inégalitaire, développant stress et compétition entre enfants et entre parents. Elle entend défendre aussi le droit imprescriptible à jouer, de plus en plus menacé par des emplois du temps délirants qui conduisent désormais des enfants, dès la maternelle, au burn out… ! La maîtresse donne trop de devoirs est un cri du cœur mais aussi un avertissement très sérieux.

Peut-on ressortir un livre « tranche de vie » vingt ans plus tard sans rien changer ? En jeunesse, difficile. Depuis quelques années, Marie-Aude se livre régulièrement à cet exercice qui consiste, avant toute nouvelle édition, à relire, corriger, mettre au goût du jour les textes que son éditeur lui propose de remettre en vente. Entretenir le fonds, en quelque sorte. En 2006, elle l’a fait pour la série des mésaventures d’Emilien, inaugurée par Baby-sitter blues, parue dix-sept ans auparavant. En 2017, c’est Albin Michel jeunesse qui publie La maîtresse donne trop de devoirs, paru en septembre 1996 à l’école des loisirs sous le titre Qui a peur de Madame Lacriz ?

Si la classe et les méthodes de Madame Lacriz, la fameuse maîtresse de Solène qui donne trop de travail à faire à la maison, n’ont pas beaucoup changé, les ressources des parents mis à contribution pour faire les devoirs de leurs chéris ont évolué. En 1996, il n’y avait pas ou peu d’Internet

La maîtresse donne trop de devoirs - Marie-Aude Murail - l’école des loisirs (93 pages, 7,90 €)

En podcast sur RCF Loiret (écoutez un extrait à 1:22) :

vendredi 15 septembre 2017

Le Journal d'Aurore


Le Journal d'Aurore passe en BD... et la couleur lui va bien ! Quand on a aimé un livre, on a toujours une légère appréhension au moment de découvrir sa déclinaison dans un autre support. En l’occurrence, Le journal d’Aurore développé désormais en bande dessinée résulte d’une collaboration étroite entre Marie Desplechin, l’auteure du produit initial, le dit journal publié en quatre volumes à l’école des loisirs et désormais réuni en anthologie, et la dessinatrice Agnès Maupré, aidée à la couleur par Grégory Elbaz. 

Le résultat est une vraie réussite à la hauteur de ce qu’annonce la quatrième de couverture : « jeune fille seule comme un rat, affligée d’un physique monstrueux et d’une famille ennuyeuse, certainement athée, probablement lesbienne, cherche jeune homme pour l’aimer à la folie ».  « Bourrée d’ complexes » comme la jeune femme chantée jadis par Boris Vian, Aurore traverse ses deux dernières années de collège – elle se paye le luxe de redoubler sa troisième - en proie à une crise d’adolescence qui se déploie dans toutes les dimensions possibles : famille, études, amies effectives et amours potentielles se dressent comme autant d’obstacles à surmonter. Les difficultés imaginées ne sont pas moins rudes que les réelles, Aurore ayant une grande capacité à se muer en emmerdeuse pathétique dès qu’elle fait un effort de sociabilité. Coincée entre une petite sœur moche mais surdouée et sans complexe, Sophie, et une grande, Jessica, déjà sur le marché infini de l’amour, Aurore se débat avec sa vie. Elle peut heureusement compter sur des amies qu’elle n’a pas réussi à décourager, Lola et Samira. Ses essais de garçons sont évidemment calamiteux mais c’est surtout au sein de sa famille que les conflits s'aggravent, au point que ses grands-parents finissent par lui offrir l’asile politique pendant tout un trimestre scolaire. Quelques expériences auxquelles elle se résout la mort dans l’âme, comme un voyage scolaire en Angleterre, vont lui accorder des satisfactions inespérées. 

On attendra d’avoir lu le second tome pour vérifier qu’Aurore finit par s’en sortir, ce dont l’humour tendre et vache de Marie Desplechin ne nous permet pas de douter… Aurore est vivante, Aurore est aimable, simplement, le lecteur s’en aperçoit avant elle, comme si, ajouté à l'humour de l'autrice, le dessin d'Agnès Maupré nous donnait une longueur d’avance sur le monologue de vraie-fausse dépressive de notre héroïne.


Le journal d'Aurore - BD - Marie Desplechin et Agnès Maupré - Rue de Sèvres (139 pages - 15 €)

En podcast sur RCF Loiret (écoutez un extrait à 2:13) :

vendredi 8 septembre 2017

Le collège des éplucheurs de citrouille


Puisque c’est la rentrée, je vous propose de la faire dans un coin bien perdu de Bretagne, où aucun portable n’émet ni ne reçoit, par la volonté de ses habitants. Les ondes auraient tué naguère des portées de poussins… A Trégondern, en ce dimanche 30 août, le collège des Museaux accueille dans son internat une vingtaine d’ados un peu fracassés par la vie et placés là pour les remettre sur leur voie. Une collection bizarre d’enseignants, d’origines diverses, est chargée de leur apprendre la vraie vie et la vraie voie, sans réseau et sans Wifi, avec des méthodes pour le moins non conventionnelles. Il y a aussi dans ce collège des élèves autochtones tout ce qu’il y a de plus normaux, quoiqu’à y regarder de plus près, ce qualificatif n’est peut-être pas le plus adapté. Comment ces deux populations vont se côtoyer scolairement, c’est tout l’enjeu de ce premier mois passé à s’observer, se frotter les uns aux autres, en classe ou sur les terrains plus insolites sur lesquels les profs emmènent leurs élèves. Nature et découvertes garanties.

Placé par sa mère à l’internat du collège, Elliott arrive avec un lourd et pesant secret, un bijou très précieux hérité de son père, qu’il veut soustraire à la convoitise de son beau-père, le dénommé Vince, un violent prêt à tout pour le récupérer. Heureusement, il y a aussi Péline, une grande fille rousse et ronde qui n’a pas froid aux yeux et qui va s’intéresser très vite à Elliott. Et réciproquement.

Dans les nouveaux arrivants quelques gros durs voudraient bien faire la loi, dès la sixième pour certains, mais les enseignants et le personnel éducatif ne s’en laissent pas compter : principal et CPE veillent au grain, avec la complicité du cuisinier. Ainsi, le dénommé Henrique va vite comprendre que l’épluchage de citrouilles est une sanction qui ne laisse pas son homme indemne.

Laure Deslandes nous emmène dans une Bretagne aussi fantaisiste qu’irréductible, où l’on résiste avec humour au progrès en s’accommodant de la centrale nucléaire toute proche qui distille un peu de son césium dans l’environnement. La mère de Péline, en baba-cool au grand cœur, vit avec sa fille dans un foutoir insouciant où Elliott va trouver rapidement refuge le week-end, pour ne pas repartir chez lui et échapper ainsi au compagnon de sa mère.

Le collège des éplucheurs de citrouille fait partie de la sélection 2017 du Grand Prix des lecteurs du Journal de Mickey. C’est un livre qui déborde de vie, un panier de légumes bio trop petit pour ce qu’il contient, une galerie de personnages hauts en couleur, adultes et collégiens, saisis dans leur douce folie quotidienne. Laissez-vous tenter par cette rentrée bretonne qui a encore un parfum de vacances et d’amours naissantes.

Le collège des éplucheurs de citrouilles - Laure Deslandes - l’école des loisirs - (294 pages, 17 €)

En podcast sur RCF Loiret (écoutez un extrait à 2:42) :


vendredi 14 juillet 2017

Inséparables



« Ce n’est vraiment pas si terrible », écrit Grace. Quoi ? D’être ischiopagus tripus. Une ou deux, une et deux, une deux, quatre bras, deux jambes et deux béquilles. Tap-tap, le monstre à deux têtes entre au lycée. Une et inséparables.

« Quand Tippi veut quelque chose,
      elle l’attrape à
      pleines mains
      avec
      un corps qui nous appartient
      à toutes les deux. » (83)

Grace raconte sa sœur et elle, Grace et Tippi, « ni vous sans moi ni moi sans vous ». Telles le chèvrefeuille et le coudrier de Marie de France, ensemble elles pourraient bien durer. Mais séparées ? Le corps à corps permanent des sœurs siamoises impose le corps de l’autre comme un corps à soi, comme un deuxième corps. Trop de corps côte à côte? Grace envie Sainte Catherine :

« Parfois, je voudrais pouvoir être comme ça :
engagée dans une lutte
de l’âme,
au lieu de m’inquiéter
tout le temps pour mon corps. » (186)

Grace raconte aussi Dragon, la petite sœur qui danse, la maman et le papa qui boit - un peu trop - un chagrin indéfini. Une famille un peu trop indéfiniment vivante.

Sur le casier de Tippi, un jour, peu après la rentrée, un papier scotché : « Vous feriez pas mieux de retourner au zoo ??? » Inévitable.

Mais deux amis indéfectibles s'offrent à Grace et Tippi : Yasmeen et Jon. Et pour Grace, le truc juste impossible, juste nécessaire, avec son cœur fragile : tomber amoureuse de Jon. Avec Tippi à sa gauche, qui regarde ailleurs mais n’en perd pas une miette. L’amour, c’est d’être un, deux, trois ... soleil ?

Jusqu’au choix, inéluctable. Que reste-t-il quand de deux qui ne font qu’une, on tente de faire une plus une égalant deux ?

J’ai lu d’une traite.
Et à la fin j’étais

- « le souffle du livre qui se referme
de la bougie que l’on éteint » (317) -

en larmes.

Parce que « la chance, c’est un mensonge » (371). Mais parce que ce livre de Sarah Crossan est une grâce, traduit par Clémentine Beauvais.


Inséparables, de Sarah Crossan – traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Clémentine Beauvais – Rageot - 2017.


vendredi 30 juin 2017

Simon & Louise



Bientôt l’été, les vacances. A ne voir que les beaux jours et la liberté retrouvée, on pourrait oublier que pour beaucoup, c’est aussi le signal de la séparation. Rendez-vous à la rentrée se dit-on comme pour en conjurer les effets redoutés.

« Deux mois de vacances, pff, ça va être long » soupire d’ailleurs Simon en regardant le selfie qu’il vient de faire avec son amie Louise, à la sortie du collège. Max de Radiguès, scénariste et illustrateur de Simon & Louise a eu l’idée de nous faire passer ces deux mois de séparation successivement en compagnie de Simon puis de Louise, dessinant leurs étés parallèles sur 125 pages.

Simon est à peine parti en vacances avec sa mère qu’il s’aperçoit soudain que Louise vient de changer dans  Facebook sa « situation amoureuse », passant brutalement de « en couple » à « célibataire ». Il se demande immédiatement ce que cache ce revirement de Louise à son égard, essaie de la joindre, laisse des messages mais n’obtient aucune explication satisfaisante. Sur un  coup de tête, il décide de rejoindre son amie à Montpellier, à 520 km de là, avec son sac à dos, un peu d’argent et son portable. Il laisse à sa mère un petit mensonge plausible pour la rassurer. Dans ce qui ressemble à une fugue, Simon va découvrir la route,  l’auto-stop, ses aventures et ses dangers, les rencontres bonnes et les mauvaises. Retrouvera-t-il Louise au terme de son voyage ? En tout cas, en se perdant à plusieurs reprises, en inventant quelques mensonges au gré des rencontres qu’il fait, lui qui s’est improvisé petit routard, il va se trouver lui-même.

Pendant ce temps, Louise est à la plage en compagnie de sa cousine Manon, une fille plus entreprenante qu’elle, bien décidée à rencontrer « les beaux mecs de la plage », comme elle l’annonce à Louise avec la forfanterie de son âge. Sitôt dit, sitôt fait. Manon, qui ne doute de rien, accoste Quentin, dans lequel Louise s’est cogné peu avant sous l’eau, et son copain nommé Luca : on se retrouvera au cinéma en plein air où tout le monde se rend en famille le soir même. Avant la fin du film, garçons et filles s’éclipsent. Louise et Manon sont invitées à rejoindre les deux copains qui squattent une cabane dans les arbres. Là, les garçons se font plus entreprenants. Comment disait-on autrefois ? On flirte. Mais Louise fait de la résistance. Quentin lui plait, mais elle a toujours Simon en tête et finalement, elle n’a pas très envie de se faire peloter à la sauvette. Elle casse, comme on dit, et manque aussi de se casser du haut de l’arbre. Les jours suivants, ils vont quand même se revoir, car les quatre ados n’ont pas grand-chose de mieux à faire. Louise fait aussi connaissance avec Arthur, un garçon en apparence plus timide qui s’accroche à leur petit groupe bien qu’il soit un peu le souffre-douleur de Quentin et Luca. Louise va découvrir le secret d’Arthur et jouer un bon tour aux deux autres garçons.

Max de Radiguès nous promène dans ces vacances parallèles  de Simon et Louise en prenant son temps. Pour cela, il l’étire, puisque si l’on s’en tient à l’action qu’il décrit, ce sont deux jours et une nuit qu’il nous raconte. Ses images nous entraînent dans les rêves et les émois des deux adolescents, les suggèrent d’un trait clair aussi économe qu’expressif. Il y a des cases, des planches entières, sans paroles ou presque, où se lisent les élans et les peurs silencieux, les envies et les réticences des deux collégiens à l’épreuve de leurs libertés naissantes, conquises. Pour Simon qui traverse une partie de la France c’est le vert d’une campagne vallonnée qui domine, jusqu’à ce qu’il parvienne à Montpellier. L’été en apnée de Louise alterne la plage, la plongée sous-marine et les virées nocturnes plus ou moins sous contrôle des parents.


Comme chacun sait, les parallèles pourraient finir par se rejoindre. Max de Radiguès nous montre Simon errant dans Montpellier où il est enfin arrivé. Il commence par s’en remettre au hasard des rues pour retrouver Louise. Mais quand il va tomber sur son amie, il va aussi tomber sur un os. Notre auteur refilme en quelque sorte la même situation au même moment et au même endroit, vue du point de vue de Louise cette fois. Les deux amis vont-ils se revoir ou devront-ils attendre la rentrée des classes  ? Et en auront-ils encore envie après avoir grandi séparément tout l’été ?

Simon & Louise (BD) - Max de Radiguès - Sarbacane (125 pages, 18,50 €)

En podcast sur RCF Loiret :


vendredi 23 juin 2017

De l'autre côté

Quatre saisons dans la campagne suédoise 



Peut-être l’avez-vous remarqué ? Mes chroniques sont assez chauvines. Je ne parle quasiment jamais d’auteurs étrangers. Considérant que nous sommes suffisamment colonisés par la littérature anglo-saxonne, je ne vais pas de surcroît en assurer la promotion ! Toutefois, une règle n’est vraiment tenable que si elle souffre quelques exceptions.

Aussi vais-je vous parler aujourd’hui d’un auteur nordique, Stefan Casta  et surtout de son livre intitulé De l’autre côté. Je vous signale que Stefan Casta a reçu en 2002 le prestigieux prix Astrid Lindgren pour l’ensemble de son œuvre. De l’autre côté a été traduit du suédois par Agneta Ségol. Les traductrices et traducteurs sont une autre raison de faire une entorse à mon patriotisme culturel. Leur rôle de passeur reste vital pour tous ceux que Babel a cantonnés à leur langue maternelle.

Le livre de Casta commence comme Les choses de la vie, le film de Claude Sautet : par un accident de voiture, minutieusement décrit, au ralenti, et qui a pour témoin insolite… un renard. A l’arrière, Elina, la narratrice, en décompose toutes les phases, filmées à 360°.

Au final, elle s’en sort miraculeusement indemne. Jörgen aussi. Jörgen, c’est son père, qui conduisait et qui est en grande partie responsable du carambolage. Mais sur le siège passager avant, « quelqu’un meurt » : ce sont les premiers mots du livre. La vie des deux survivants va s’en trouver singulièrement changée.

Vanessa, la morte, n’était pas la mère d’Elina mais la nouvelle compagne de son père. Mais au fond, Elina aurait eu moins de peine si ça mère biologique était morte. Avec la mort de Vanessa, quelque chose s’évide dans les existences d’Elina et de son père. Quand la vie reprend ses droits, ce tiers manquant flotte à tout moment dans l’appartement et pour Elina, c’est parfois bien plus qu’un souvenir : Vanessa est devenue pour elle une présence réelle qu’elle peut nous décrire, une projection holographique de l’au-delà avec qui elle s’entretient comme si elle était encore en vie.
Quand Jörgen et Elina décident de quitter la ville et d’acheter une maison à la campagne, Vanessa va hésiter à les suivre.

Le roman de Stefan Casta s’étend d’un été à l’autre, au fil des quatre saisons qui rythment le deuil surmonté. La nouvelle maison va s’imposer lentement comme un personnage à part entière et autour d’elle, une nature très présente, dont nos héros semblent découvrir pour la première fois les métamorphoses. Est-ce le même renard entraperçu au moment de l’accident qu’Elina recroise dans la forêt enneigée ? Un jeune et beau voisin, prénommé Aron, rôde aussi dans les parages, apparaissant et disparaissant comme un vagabond sans attaches. On devine bientôt que quelque chose le relie à l’histoire de la maison, sans qu’on sache quoi. Va-t-il prendre une place dans le cœur d’Elina ?

L’adolescente est progressivement partagée entre la ville, l’école, son amie iranienne Marjan et cette vie nouvelle au cœur de la nature où elle et Jörgen reprennent leurs marques. Jörgen s’essaie à plusieurs activités, sous le regard parfois inquiet, mais toujours indulgent, de sa fille, que son père ne cesse de surprendre et auquel elle doit sans cesse ajuster sa propre existence.


Il y a un charme particulier dans ce livre, indéfinissable et pourtant puissant. L’auteur introduit dans le décor et dans la vie quotidienne de ses héros des touches de mystère, des voix extérieures, des questions laissées provisoirement sans réponse, qui tiennent la curiosité du lecteur en alerte. Peu à peu, le regard précis et bienveillant d’Elina sur toutes choses nous enveloppe et ne nous lâche plus.

De l'autre côté - Stéfan Casta (traduit du suédois par Agneta Ségol) - éditions Thierry Magnier (385 pages, 17 €)

En podcast sur RCF Loiret (écoutez un extrait à 3:35) :

Les Mille vies d'Ismaël

 C'est un peu étrange de penser qu'on est au bout de sa vie alors même qu'on ne l'a pas encore commencée. C'est pourtant...