vendredi 22 décembre 2017

Noël à tous les étages



Noël à tous les étages : Bayard a eu la bonne idée de republier ce récit de Marie-Aude Murail, paru dans le mensuel J’aime Lire il y a presque vingt ans.

Du conte de Noël, il en a tous les traits, soulignés par les délicates aquarelles de Boiry qui l’illustrent. On est en décembre, dans le Paris du milieu du XIXème siècle. Si Noël se prépare effectivement à tous les étages, c’est dans des conditions bien différentes. La société de ce temps-là est stratifiée verticalement. Au premier, à l’étage noble des immeubles de l’époque, vivent de riches bourgeois, les Lenormand, servis par une domesticité qui, elle, survit péniblement sous les toits aux côtés de quelques étudiants désargentés, dans des pièces mansardées, brûlantes en été et glaciales en hiver.

Jeanne, couturière chez les Lenormand, élève comme elle peut Hugues, son petit frère qui loge avec elle tout là-haut. En ce mois de décembre enneigé, Hugues est gravement malade et la fièvre qui l’assaille se mêle à un autre désir aussi furieux que fiévreux, celui d’apprendre à lire. Malheureusement, Jeanne elle-même n’a jamais appris et elle est davantage préoccupée par l’état de santé de son jeune frère et le Noël qu’elle aimerait inventer pour lui avec ses maigres moyens. Hugues, lui  se débat dans son lit contre la maladie et s’impatiente du souci impuissant de sa sœur, comme si le temps lui était désormais compté.


Deux orphelins, un enfant menacé de mort, une jeune fille pauvre, quelle lumière va bien pouvoir éclairer ce tableau misérable ? Un jeune étudiant amoureux, peut-être ? C’est tout l’art de Marie-Aude Murail de brosser ce drame social et familial en quelques feuillets et de le mener jusqu’à son dénouement, revisitant d’une écriture toute moderne, quoiqu’en costumes d’époque, la thématique du conte de Noël, si bien exaltée en son temps par Charles Dickens.

Noël à tous les étages - Marie-Aude Murail - Bayard (45 pages, 6,50 €)

Retrouvez cette chronique sur RCF Loiret (extrait lu à 2:04)


Un portrait de Marie-Aude Murail ? Cliquez ici.

vendredi 15 décembre 2017

Roslend, Trisanglad (tome 2)

La guerre à l'heure de Staline et de l'Alter monde



Je vous ai parlé la semaine dernière du second tome de la trilogie Les porteurs de C. Kueva. Les hasards de la programmation éditoriale font que vient de paraître le second tome d’une autre trilogie que je vous avais présentée, celle de Roslend, écrite par Nathalie Somers.

Vous vous souvenez peut-être que l’autrice nous offrait une relecture de la Seconde guerre mondiale, en plaçant un jeune héros, Lucan, et son amie d’enfance Catriona, dans l’enfer du Blitz londonien. Exploitant la veine des mondes parallèles, elle faisait basculer Lucan de Londres à Roslend, pays imaginaire, lui aussi assiégé comme l’Angleterre de Churchill, par un ennemi impitoyable, le Brac Marquel.

Dans ce deuxième tome, la guerre se poursuit et Lucan se trouve missionné par Churchill auprès de Staline lui-même. En 1942, la bataille décisive de Stalingrad est engagée et va décider du sort de la guerre, même si aucun des protagonistes n’en a encore la claire vision. Méfiant au départ, Staline va considérer Lucan, grâce à un subterfuge de Churchill, comme une sorte de voyant capable peut-être de l’éclairer sur les décisions stratégiques à prendre face à l’avancée de l’armée nazie. Lucan craint fort de ne pas pouvoir tenir longtemps ce rôle auprès du redoutable chef de l’empire communiste.

Nathalie Somers nous plonge au cœur du Kremlin, où Lucan et son amie Catriona qui l’a accompagné, font  connaissance de Svetlana, la fille de Staline, qui a leur âge, et cherche à secouer le joug paternel. Aussi gâtée soit-elle par le maître de l’Union soviétique, elle se vit prisonnière, surveillée, et l’arrivée des deux jeunes Londoniens est pour elle une fenêtre inespérée ouverte sur le monde.

Dans l’Alter Monde, parallèle à l’Ego Monde déchiré par la guerre, rien ne va plus. L’ampire de Trisanglad, que nous découvrons, allié traditionnel de Roslend, est assiégé par le Brac Marquel qui, s’il l’emporte, deviendra la maître absolu de l’Alter Monde.
En dépit des dangers encourus, Lucan va repartir dans ce monde parallèle, grâce au cadran d’horloge que lui a légué son grand-père juste avant de mourir. Il y est poussé par son goût de l’aventure, mais pas seulement. Il sent avec une certitude croissante que le mystère de ses origines, que son grand-père ne lui a jamais révélées, est lié à Roslend, et c’est cette quête personnelle qui l’entraine irrésistiblement de l’autre côté, surveillé par sa fidèle Catriona.

Mêlant toujours aussi habilement l’histoire vraie de l’Ego Monde et la fiction de l’Alter Monde, Nathalie Somers trame un récit de plus en plus prenant où tous ses personnages prennent de la profondeur, les bons comme les méchants, au point que cette ligne de partage semble parfois troublée. La grande Histoire et la petite en deviennent peut-être moins manichéennes.

Roslend, Trisanglad (tome 2) - Nathalie Somers - Didier Jeunesse (384 pages, 17 €)

Pour écouter cette chronique sur RCF Loiret (extrait du livre lu à 3:02)


vendredi 8 décembre 2017

Les porteurs #2 - Gaëlle

Quand une fille entre en résistance...



Le 19 mai dernier, je vous avais présenté ici même le premier volume des Porteurs, une trilogie écrite par C. Kueva - C pour Catherine. Dans ce roman d’anticipation, l’auteur, qui ne veut pas se dire autrice, nous transportait dans une société post-apocalyptique où le genre des individus n’est plus donné à la naissance mais choisi à 16 ans. Comme pour conférer son plein sens à la formule psycho-sociologique de Simone de Beauvoir : on ne naît pas femme, on le devient. Sauf que dans ce monde-là, la formule est biologique et s’applique aussi aux garçons potentiels.

Le premier tome était centré sur Matt, qui s’avérait être porteur d’une anomalie génétique rendant le traitement de sexuation inopérant. Matt se voyait donc condamné à rester neutre, ni homme ni femme pendant de longues années, ce qui ne faisait pas l’affaire de son amie Gaëlle déjà en route vers son destin assumé de femme amoureuse, et qui se retrouvait face à un être humain inachevé.

Dans ce deuxième tome, centré sur Gaëlle, nous reprenons l’histoire là où s’était achevée la première partie : à la mort brutale de Lou, assassiné par balles dans un parc public, sans mobile apparent. Crime crapuleux, passionnel ou crime d’Etat ? Nul ne le sait. Mais Gaëlle, jalouse de l’ascendant que ce Lou un peu mystérieux semblait avoir pris sur Matt, se sent à la fois soulagée et coupable de cette mort dont elle est en partie responsable. C’est elle qui, ce jour-là, avait donné rendez-vous à Lou dans le jardin.

Suit une longue analepse (ou un flashback si vous préférez la version anglaise). L’histoire semble repartir au début, sauf que tout est vu désormais du point de vue de Gaëlle. De son côté, il y a en effet de sérieux blancs à explorer, que le tome 1 avait laissé de côté. Gaëlle vit seule avec sa mère qui ne lui a jamais rien dit de son père, si ce n’est qu’il était parti. Secret de famille ? La mère de Gaëlle est une sorte de résistante : elle travaille avec une militante de l’accouchement naturel, alors que la norme pour toutes les femmes qui accouchent, c’est la césarienne. Ce groupe de santé dissident est mal vu par les services de l’Etat qui ont mis sous tutelle non seulement la fonction de sexuation mais aussi celle de reproduction. Gaëlle va bientôt rencontrer d’autres résistants à l’ordre établi, en la personne du jeune Filippi et de son grand-père Tonio, deux naturalistes qui cultivent en toute illégalité des plantes traditionnelles et en tirent des remèdes clandestins. Tandis que Matt, fuyant et indéterminé, disparaît de plus en plus souvent, irrésistiblement séduit par Lou, Gaëlle ne reste pas insensible au charme rebelle de Filippi, un « vrai » garçon. D’autant que Gaëlle et Filippi se découvrent beaucoup de choses en commun. Gaëlle a un autre souci. Son amie Flo refuse de choisir un sexe et de subir le traitement qui la transformerait en homme ou en femme. Si Matt ne peut pas, Flo, elle, ne veut pas. Mais en a-t-elle le droit ?

Dans ce deuxième tome, Kueva développe l’univers aussi attirant que menaçant mis en place dans le premier. D’un côté, la vie sans les soucis du genre jusqu’à 16 ans semble permettre un développement harmonieux des êtres. De l’autre côté, des mensonges d’Etat sont bien entrevus mais ils sont trop gros pour être dénoncés : d’ailleurs, la vérité n’est-elle pas trop effrayante pour qu’on puisse s’y confronter ? L’Histoire n’a-t-elle pas été réécrite pour la masquer ? Les porteurs sont-ils des êtres déficients ou exceptionnels ? Gaëlle se bat et se débat dans un monde dont elle cherche les clés, non sans courage. Qui les détient ? Le pouvoir établi ou ceux qui lui résistent ? Et qui est vraiment Lou ? C’est à suivre…

Les porteurs, #2 – Gaëlle – C. Kueva – éditions Thierry Magnier (330 pages, 14,90 €)

Pour réécouter la chronique diffusée sur RCF Loiret (extrait lu à 3:53 )



vendredi 1 décembre 2017

Le réveil de Zagapoï


Au cœur de la forêt amazonienne, une expérience contre Nature...



Pour un Français de métropole, vivre en Guyane peut être une expérience fondatrice, si du moins on accepte de s’immerger dans une nature qui s’écrit là-bas d’emblée avec un grand N. Enseignant à Saint-Laurent du Maroni dans les année 90, Yves-Marie Clément en a rapporté des impressions durables qu’il délivre à nouveau aujourd’hui dans Le réveil de Zagapoï, un conte mi-réaliste mi-fantastique.

Côté réaliste, on découvre Adriana en chef d’une équipe scientifique financée par un puissant laboratoire. Cette équipe est envoyée au cœur de la forêt amazonienne pour tester en vraie grandeur, après les essais en laboratoire, les effets d’un puissant insecticide capable d’éradiquer un ennemi mortel des humains : le moustique, cette petite bestiole jugée simplement agaçante sous nos latitudes, mais dont on sait qu’elle est le vecteur de tant de pathologies invalidantes voire mortelles de par le monde. Compte tenu des enjeux médicaux et financiers colossaux, la pression mise sur l’ensemble de l’équipe par le professeur Todorov, spécialiste mondialement reconnu des quelque 3000 sortes de moustiques recensées, est très forte.

Côté fantastique, on imagine immédiatement que l’expérimentation ne va pas se passer  comme le professeur Todorov l’avait vendue à son commando scientifique parachuté dans la jungle amazonienne.

Yves-Marie Clément a composé un thriller à trois voix. Celle d’Adriana, fille de la Guyane, qui tient le journal de sa mission jour par jour ; la voix de ceux que Clément nomme Les Habitants, pour bien marquer la légitimité qu’ils ont à vivre là : la flore et la faune guyanaise, dans son immense richesse ; et ceux qu’il nomme Les Autres, les intrus de la Nature, toute l’équipe de la mission incluant le professeur Todorov qui s’est replié à Cayenne pour suivre à distance prudente le déroulement des opérations.

Ces trois voix, tout au long du roman, dialoguent, se répondent et au fur et à mesure que se dévoilent les buts réels de l’opération, vont s’affronter sourdement puis ouvertement et brutalement, lorsque l’esprit de la forêt, nommé Zagapoï, se sera réveillé pour mener le combat final.


On l’a deviné, Le réveil de Zagapoï est à la fois une fable écologique et un conte d’avertissement. Le moindre de ses intérêts n’est pas de nous faire découvrir la richesse de la faune et de la flore guyanaise et d’en faire battre pour le lecteur, le cœur vivant, au fil d’une histoire palpitante de bout en bout.

Le réveil de Zagapoï - Yves-Marie Clément - Le Muscadier (2/11/2017) - (184 pages, 12,50 €)


Le Soleil, la Lune et toi.

  Si vous pensez que la Terre est plate et si votre femme croit que le Soleil tourne autour d'elle (la Terre), et surtout si vous avez d...